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La loi sur la « sécurité » est un nouveau recul des libertés fondamentales 5 octobre 2017 / Benoît Hamon

L’Assemblée nationale a voté mardi 3 octobre une loi « sur la sécurité » banalisant les dispositions de l’état d’urgence. Ce recul des libertés est pourtant inefficace, rappelle l’auteur de cette tribune, qui déplore qu’une partie des députés de gauche soit restée sourde aux appels des défenseurs des droits de l’Homme.

Benoît Hamon.

Benoît Hamon était le candidat du PS à la présidentielle de 2017 et anime le Mouvement du 1ejuillet.


La loi de lutte contre le terrorisme adoptée à l’initiative du nouveau pouvoir s’ajoute à neuf autres textes votés dans les cinq années précédentes. Ce texte franchit une nouvelle étape dans le recul des libertés fondamentales gravées dans notre droit. Et c’est à chaque fois la République qui vacille un peu plus. Au prétexte de surenchérir dans l’arsenal sécuritaire face au terrorisme de l’Etat Islamique ou d’Al Qaida, la France entérine dans le droit commun le fait qu’il est loisible à l’exécutif, sans contrôle d’un juge, de surveiller un individu et de le punir sur la base de simples présomptions.

En cela, Emmanuel Macron perpétue l’erreur funeste de Nicolas Sarkozy et François Hollande. Il bat en retraite. Il capitule sur l’essentiel. Il désarme notre démocratie au prétexte de la protéger. Il propage le poison de l’arbitraire, du soupçon et de la discorde là où la nation avait jusqu’ici démontré une remarquable résilience et cohésion face aux assauts des terroristes.

Tragique mystification que celle qui consiste à interrompre un état d’exception dont le conseil d’Etat jugeait dés février 2016 que « ses prorogations ne sauraient se succéder indéfiniment », et « que l’état d’urgence devait demeurer temporaire » sauf à mettre en cause des libertés fondamentales, parmi lesquelles celle « d’aller et venir », pour l’intégrer purement et simplement au droit commun.

Dans nos démocraties, nous devons choyer cet équilibre si fragile mais si précieux entre le devoir de protéger nos concitoyens, d’assurer la sûreté d’une part et la nécessité impérieuse de préserver l’Etat de droit et les libertés fondamentales d’autre part. Cet équilibre n’est plus. Ce qui était une exception temporaire dictée par une situation extraordinaire, devient la loi ordinaire, un état permanent.

Condamné à tort, pour terrorisme.

Tout cela se fait dans un contexte où le législateur s’entête à ignorer les arguments sur l’inefficacité à court terme des mesures de restrictions des libertés qu’il propose et leur impact négatif à long terme sur la cohésion nationale et l’équilibre de nos institutions.

Par ce texte, le gouvernement pourra continuer de décider des mesures de surveillance contre toute personne à l’égard de laquelle il existerait des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre public et l’empêcher de se déplacer au-delà d’un lieu géographique déterminé. Sans contrôle d’un juge, sur la base de simples présomptions, il sera possible de surveiller et de punir. Mais qui ne voit pas les dérives auxquelles une telle législation nous expose. Désormais, la dangerosité supposée peut valoir condamnation. Hier les individus étaient jugés et condamnés sur le fondement d’un acte criminel qui engageait leur responsabilité personnelle. Demain la culpabilité présumée, le risque supposé que représente une personne suffiront. Il s’agit là pour commencer d’une rupture absolue avec le principe fondamental de la présomption d’innocence. Il s’agit ensuite, comme nous avions eu l’occasion de le dire plus tôt avec Barbara Romagnan et Noël Mamère, du passage d’une société de la responsabilité à une société de la suspicion où une partie de la population se retrouve stigmatisée, regardée avec méfiance et présumée coupable. Ce n’est pas seulement une dérive sécuritaire, c’est aussi un poison qu’on instille ainsi et qui vient porter un coup violent à notre cohésion nationale, déjà si fragile.

Ces menaces n’ont évident pas échappé aux associations de défense des droits de l’Homme. La ligue des Droits de l’Homme, Amnesty International, le Syndicat de la Magistrature, le Syndicats des Avocats de France, Human Rights Watch ont alerté l’opinion publique, saisi les parlementaires, interpellé le gouvernement. En vain. Ils ont été rejoints par la CNCDH, le Défenseur des Droits et désormais les Nations Unies pour dénoncer ces violations graves des libertés fondamentales. En effet le symbole n’est pas mince. La France reste aux yeux de l’Histoire et du monde, le pays de la déclaration des droits de l’Homme. Hélas, l’adoption de la loi antiterroriste, achève de lui ôter toute légitimité à se poser en ambassadeur international, en promoteur à l’extérieur de ses frontières, de principes qu’elle restreint chez elle !

Force est de constater que cette rupture ne fut pas suffisante pour nourrir le doute encore moins à rallier les suffrages des députés. La peur des attentats, conjuguée à la décrépitude du débat politique et intellectuel français ont relégué toutes ces alarmes au rayon d’un « droit de l’hommisme » dépassé et dangereux.

Aux arguments des défenseurs des droits de l’Homme, une partie de la gauche est devenue sourde. Comme elle était devenue sourde auparavant aux alarmes sur la montée des inégalités, la pauvreté et l’injustice sociale. Au détour de ce texte, la sociale démocratie française apporte une confirmation supplémentaire de son effondrement. Elle ne s’affaisse pas électoralement et moralement faute d’avoir manqué seulement à sa promesse sociale. Elle poursuit son écroulement aussi faute de manquer à sa promesse démocratique et humaniste.


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Source : Courriel à Reporterre

– Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
– Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.

Photos : 
. chapô : l’Hémicycle de l’Assemblée nationale lors de la discussion en 2nde lecture de la loi de « sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme », le 28 septembre 2017.

octobre 2017 / Benoît Hamon